Sym, des camions suréquipés pour lutter contre les déserts médicaux

Sym, des camions suréquipés pour lutter contre les déserts médicaux

Face à une multiplication des déserts médicaux sur le territoire français, Mohand Benabdelouahed (promo 16) a créé une entreprise sociale et solidaire (ESS) qui allie technologie et mobilité. Grâce aux médicobus de Sym, les habitants de n’importe quel territoire français peuvent bénéficier d’un premier accès à des soins optiques. Rencontre. 

Propos recueillis par Maïna Marjany

Mohand Benabdelouahed, Fondateur de Sym Vision Lab (D.R.)

Comment votre parcours, et celui de votre associé Erwan Corre, vous a-t-il conduit à créer Sym ?

Ancien membre de l’équipe de France de judo, ayant fait mes classes à Sciences Po au sein du master Finance et Stratégie ainsi qu’à New York University, puis ayant travaillé en fonds d’investissement, j’ai toujours souhaité devenir entrepreneur. Mon souhait d'œuvrer pour le bien commun, mon appétence pour l’innovation et pour la compétition m’ont naturellement conduit à me tourner vers l’entrepreneuriat à impact. Quant à Erwan, co-fondateur avec moi de Sym, il est diplômé d’HEC Paris et a été le COO [Chief operating officer] de Smartbox avant de fonder plusieurs entreprises dont Worldia.

En 2022, plus de 7 millions de Français vivaient dans un désert médical, ils pourraient être 20 millions d’ici la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron. Le secteur de l’ophtalmologie est-il particulièrement touché par cette problématique ? Quels sont les chiffres et les enjeux propres aux problèmes de vue en France ?

La médecine de spécialité est encore plus touchée que la médecine générale et c’est particulièrement le cas de l’ophtalmologie. Rendez-vous compte : un Français sur deux a déjà dû renoncer aux soins optiques, soit environ 30 millions de nos compatriotes. Pire encore, un Français sur dix y a définitivement renoncé.

Deux causes sont responsables de ce renoncement : les difficultés d’accès à un ophtalmologue et le coût des équipements avec un reste à charge trop élevé pour un grand nombre de nos concitoyens. Il faut en effet attendre en moyenne plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste et ce chiffre monte parfois jusqu’à deux ans dans certains territoires. Cela nous paraît inconcevable dans un pays comme le nôtre !

Les progrès limités dans la lutte contre les déserts médicaux démontrent que l'État, à lui seul, n'a pas la capacité de tout régler. Nous ne pouvons pas tout attendre de l’État ; les entrepreneurs ont aussi un rôle crucial à jouer pour l’intérêt général en tant que vecteurs de changement, en apportant des solutions innovantes et complémentaires.

« Les progrès limités dans la lutte contre les déserts médicaux démontrent que l’État, à lui seul, n’a pas la capacité de tout régler. »

Savez-vous si la France est davantage touchée par la problématique des déserts médicaux que ses voisins européens ?

On constate qu’en Europe, la France ne semble pas faire figure d’exception puisque la plupart des pays de l’Union font face à des déserts médicaux. En revanche, concernant les médecins généralistes, la France se trouve en dessous de la moyenne européenne avec 33 médecins généralistes pour 10 000 habitants contre 37 pour l’Europe.

Pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur les soins optiques ?

Nous sommes tous deux originaires de Bretagne ; Erwan vient de Carantec et moi de Ploërmel. Nous avons donc grandi dans une région touchée par la désertification médicale, particulièrement sur le volet ophtalmologique où le délai d’attente était de plus d’un an (quand le praticien veut bien recevoir de nouveaux patients). Aussi, si le sujet de la désertification de la médecine générale est largement abordé par les pouvoirs publics, il est bien moins question de la médecine de spécialité et des réponses à y apporter.

C’est pour cela que nous avons décidé avec Sym de repenser le parcours de soins optiques, de la prescription à l’obtention de lunettes, avec une volonté et une mission de démocratiser l’accès aux soins optiques et ophtalmologiques en les rendant plus accessibles à tous partout sur le territoire.  

Justement, quel est le concept de Sym et quelles sont concrètement les actions menées ?

Le principe de Sym est simple : aller dans les territoires où les médecins se font de plus en plus rares et répondre au fléau que sont les déserts médicaux. Pour ce faire, Sym a développé des « médico-bus », que nous appelons des Sym Lab mobiles. Ils sillonnent les territoires et les habitants peuvent en 30 minutes : réaliser un examen de vue complet gratuit ; bénéficier d’une télé expertise d’un ophtalmologue et obtenir une ordonnance si nécessaire grâce à notre plateforme de télémédecine Sym Care Lab ; avoir accès à des lunettes 100 % santé sans reste à charge et sans avance de frais.

L’entreprise Sym a développé des « médico-bus » surnommé Sym Lab mobiles qui sillonnent le territoire français. (Crédits photo : Sym)

Nous agissons comme des postes avancés de médecine en tâchant de désengorger les cabinets d’ophtalmologie et permettre ainsi aux spécialistes de se concentrer sur les actes à forte valeur ajoutée.

La santé publique est une responsabilité partagée, où Sym compte prendre toute sa part afin de devenir un acteur essentiel du progrès social. Seule la collaboration harmonieuse entre pouvoirs publics, médecins et entrepreneurs contribuera à bâtir un système de santé plus résilient et inclusif. Assurer un accès généralisé à des soins de qualité sur l'ensemble du territoire est crucial.

« Le rôle de Sym n’est pas de contourner les spécialistes mais de leur faciliter le travail et la délégation de tâches, de leur fournir des outils d’aide à la décision et de gestion efficaces. »

Ce sont des opticiens qui prennent en charge les patients. Est-ce que cela est tout de même coordonné avec des médecins ? Le corps médical soutient-il globalement votre initiative ?

L’action de nos opticiens est coordonnée et supervisée par des ophtalmologues partenaires passionnés par le projet. Il me paraît important de préciser que le rôle de Sym n’est pas de contourner les spécialistes mais de leur faciliter le travail et la délégation de tâches, de leur fournir des outils d’aide à la décision et de gestion efficaces. Le corps médical plébiscite majoritairement notre initiative même si certaines réticences persistent. J’en veux pour preuve nos collaborations étroites avec plusieurs pontes du secteur et le nombre croissant de médecins qui adhèrent à notre approche et avec qui nous travaillons au quotidien.

Les opticiens et les médecins qui travaillent avec nous peuvent compter sur du matériel de prise de mesure extrêmement performant et de dernière génération sans aucun contact avec l’œil (tonomètre, rétinographe, autoréfractomètre etc…) mais aussi sur Sym IA, notre intelligence artificielle d’aide à la décision qui permet de détecter les maladies asymptomatiques.

Chaque jour, nous combattons le renoncement aux soins optiques et ophtalmologiques des Français en plaçant l'humain, l'innovation, les médecins et le professionnel de santé au cœur de nos protocoles.

L’intérieur d’un médicobus de Sym équipé avec du matériel de prise de mesure de dernière génération sans aucun contact avec l’œil. (Crédits photo : Sym)

 Pouvez-vous dresser un rapide bilan de Sym depuis sa création ?

Sym connaît une croissance exponentielle à tous points de vue. Sur le plan humain, nous étions six il y a un an et nous sommes désormais plus de 45 au sein de l’entreprise. Pour ce qui est du déploiement géographique, nous couvrions 12 points de consultations il y a seulement 10 mois. Nous sommes désormais à 220 points de consultation partout en France et nous prévoyons d’en avoir 500 avant juin 2024. Pour arriver à un tel niveau de déploiement, nous avons dû améliorer l’ensemble de nos processus et travailler avec nos partenaires pour arriver à produire deux camions par mois quand certains nous en promettaient deux par an. Nous avons aujourd’hui une flotte de 14 camions et 25 d’ici le mois de juin.

Depuis un an, nos médico-bus ont rencontré plus de 30 000 personnes et nous ont permis de rediriger près de 20 % des patients vers un ophtalmologue en raison de problèmes oculaires majeurs, souvent des maladies asymptomatiques. Notre pré-diagnostic leur a permis d’être pris en charge bien plus rapidement chez un spécialiste.

Pour pouvoir répondre à la problématique des déserts médicaux de spécialité, nous ne pourrons pas mettre des médecins partout. Il nous faut réorganiser les choses et notre solution démontre bien qu’une analyse en asynchrone par un ophtalmologue, à l’aide de protocoles innovants, s’avère extrêmement pertinente tant pour le patient que pour le spécialiste qui peut se consacrer aux actes les plus complexes.

Quel est votre modèle économique ? Qui sont vos partenaires et comment investissez-vous dans des nouveaux camions / matériel ?

Notre modèle repose sur la vente de lunettes sans reste à charge et sans avance de frais car les examens de vue sont gratuits et sans obligation d’achat. Nous répondons à un marché boudé par les opticiens car les marges sont dites « trop faibles ». Aussi, à l’inverse des acteurs de l’optique, nous avons fait le choix de réduire les marges, couper tous les intermédiaires et de réaliser des économies sur toute la chaîne de valeur, tout en proposant ce qui se fait de mieux sur le marché de l’optique. Via les mutuelles, nous nous débrouillons pour offrir des tarifs trois fois moins élevés, 95 à 105 € pour une paire de lunettes unifocale, 180 € pour des progressifs sans pour autant dégrader la qualité. En revanche, là où un opticien vend 1,7 paire par jour, nous en vendons 15. Nous avons opté pour l’effet volume plutôt que l’effet prix car la demande en lunettes sans reste à charge est extrêmement forte dans les déserts médicaux.

C’est parce que nous bousculons la façon de faire dans un marché bien établi et que nous sommes ultra-compétitifs que notre modèle économique nous permet de nous imposer sur ce marché. Nous investissons dans de nouveaux camions et dans du nouveau matériel par de la dette.   

« C’est parce que nous bousculons la façon de faire dans un marché bien établi et que nous sommes ultra-compétitifs que notre modèle économique nous permet de nous imposer sur ce marché. »

Enfin, quelles sont vos perspectives d’évolution à moyen et long terme ? Souhaitez-vous rester dans le domaine de l’optique ou aimeriez-vous développer votre concept pour d’autres secteurs médicaux ?

Nos perspectives d’évolution à moyen et long terme sont diverses et ambitieuses. Pour la partie ophtalmologie, nous comptons, comme je le disais précédemment, doubler nos points de consultations et en avoir 500 d’ici juin 2024. À plus long terme, notre objectif est de poursuivre notre action partout sur le territoire et de renforcer notre maillage partout en France afin d’être un poste avancé de médecine de spécialité dans les déserts médicaux.

Concernant notre offre de spécialité, nous souhaitons aussi l’élargir au déploiement d’une offre auditive afin d’aller à la rencontre des Français dans les déserts médicaux pour tester leur ouïe. Enfin, nous réfléchissons au déploiement d’une offre de dépistage et d’examens en dermatologie à destination des déserts médicaux.

Nous continuerons à investir massivement dans la tech et l’innovation afin de devenir une véritable solution contre les renoncements aux soins des Français.



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